Les entreprises sur le front de l'inflation
L'année 2022 a été marquée par le retour d'une inflation forte. Enclenchée par l'ampleur de la reprise en sortie de crise Covid, à la mi-2021, et des tensions d'ajustement entre l'offre et la demande, elle s'est installée durablement avec la guerre en Ukraine et la crise des matières premières. La Nouvelle-Calédonie n'échappe pas à la hausse généralisée des prix. Certes, cette inflation, avant tout importée, n'atteint pas sur le territoire les taux de la zone Euro ou de certains de nos voisins du Pacifique. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour autant, la progression des prix va continuer alors que l'économie calédonienne n'a pas connu de rebond post-Covid. Les entreprises, fragilisées par la crise sanitaire, sont désormais entrées en résistance.
L'inflation est remontée significativement en Nouvelle-Calédonie en 2022, jusqu'à 5,2 %*, en raison du coût de l'énergie essentiellement et de l'alimentation. Si une légère baisse, puis un tassement sont ensuite observés (voir la courbe de l'indice des prix à la consommation), la situation à l'échelle mondiale, avec une inflation tirée par le coût des matières premières, est loin d'être stabilisée.
L'une des mesures prises par les banques centrales pour la contenir, qui consiste à augmenter les taux directeurs, ne produit pas de réaction immédiate (lire l'encadré). Au sein de la zone Euro, les économistes situent le pic au premier semestre 2023, tandis que la Banque de France n'envisage pas de retour à la normale, soit une inflation autour de 2 %, avant la fin de 2024.
Pas de reprise dynamique post-Covid
Les conséquences de cette envolée des prix se ressentent sur l'économie calédonienne « dont les entreprises sont entrées dans une spirale négative », alerte Charles Roger, directeur général de la CCI. La plupart se sont endettées lourdement pour maintenir leurs affaires et leurs ressources pendant la crise sanitaire : pour plus de 20 milliards de francs sur le simple dispositif de prêts garantis par l’État (PGE). Elles peinent désormais à rembourser en raison d'une reprise atone de l'activité. En retard de cycle, la Nouvelle-Calédonie est en effet passée directement de la crise Covid à la crise de la logistique mondiale et de l’Ukraine, assortie d'un renchérissement du coût des matières premières et de difficultés d'approvisionnement.
« J'ai déjà reçu deux avis d'augmentation pour 2023, indiquait en décembre dernier Stéphane Yoteau, gérant d'une menuiserie aluminium, sur les moteurs et les lames de volets roulants. Ces dernières vont encore grimper de 4,5 %, cela fait 50 % de hausse depuis janvier 2021 », poursuit l'élu à la CCI. Jusqu'à présent, les entreprises ont temporisé entre l'inflation réelle et les prix de vente en jouant par exemple sur leurs stocks. De nombreux entrepreneurs ont augmenté leurs stocks existants de deux à quatre mois de chiffre d'affaires, afin d'anticiper une hausse continue des prix ou des pénuries de produits, ce qui a fortement pénalisé leur trésorerie. À l'issue du 3e trimestre 2022, 42 % des entreprises interrogées par l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)** anticipaient une dégradation de leur trésorerie pour la fin de l'année.
Des équilibres financiers à trouver
« J'ai déjà reçu deux avis d'augmentation pour 2023, indiquait en décembre dernier Stéphane Yoteau, gérant d'une menuiserie aluminium, sur les moteurs et les lames de volets roulants. Ces dernières vont encore grimper de 4,5 %, cela fait 50 % de hausse depuis janvier 2021 », poursuit l'élu à la CCI. Jusqu'à présent, les entreprises ont temporisé entre l'inflation réelle et les prix de vente en jouant par exemple sur leurs stocks. De nombreux entrepreneurs ont augmenté leurs stocks existants de deux à quatre mois de chiffre d'affaires, afin d'anticiper une hausse continue des prix ou des pénuries de produits, ce qui a fortement pénalisé leur trésorerie. À l'issue du 3e trimestre 2022, 42 % des entreprises interrogées par l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)** anticipaient une dégradation de leur trésorerie pour la fin de l'année.
Une autre solution consiste à rogner sur le taux de marge. « C'est un équilibre financier long et difficile à trouver surtout lorsqu'on a 3 à 4 000 références en stock », témoigne Stéphane Yoteau. Si l’indice provisoire BT21 de novembre 2022, le plus utilisé dans le secteur du BTP, notait une hausse de 8 % en douze mois, il ne reflète même pas la réalité vécue par les entreprises, face à la baisse de marge rongée par la flambée de prix de revient non reportée sur les prix de vente.
« C'est un équilibre financier long et difficile à trouver surtout lorsqu'on a 3 à 4 000 références en stock »
Revalorisation dans la concertation
Des hausses de prix entre 20 % et plus de 100 % selon les matériaux de construction ont été observées en 2022. « La question de la répercussion sur les devis se pose clairement, admet Silvio Pontoni, président de la Fédération calédonienne du BTP (FCBTP). Seulement, en cette période de crise, l'hypercompétitivité est très forte entre les entreprises de notre secteur. Si nous appliquions l'intégralité de la hausse des matières premières sur nos prix, il n'y aurait plus aucun chantier qui commencerait ! Mais est-ce que les entreprises ont les reins assez solides pour s'en sortir malgré les hausses ? Nous pouvons faire une exception sur un chantier mais ce n'est pas tenable à long terme ».
Certains corps de métier, peu représentés sur le territoire, peuvent trouver des solutions de circonstance dans la concertation. Pour autant, face à l’augmentation du coût des projets immobiliers, certains sont reportés, des travaux sont annulés. « S'il n'y a pas une amélioration des commandes cette année, cela va être catastrophique. Tous les jours, des entreprises sont défaillantes car elles sont parties avec des tarifs trop bas alors que les prix flambent », conclut Silvio Pontoni.
En cette période de crise, l'hypercompétitivité est très forte entre les entreprises de notre secteur.
Les professionnels s'adaptent
La restauration, qui a déjà perdu 20 à 30 % d'activité depuis 2019 et la crise du Covid-19, est également touchée de plein fouet par l'inflation galopante. « Tous les produits de base ont subi de grosses augmentations, parfois de 50 à 60 % comme l'huile de tournesol ou les produits laitiers, décrit Jean-Pierre Cuenet, président du syndicat des hôteliers-restaurateurs. L'alimentaire connaît toujours une inflation plus forte que la moyenne ».
Aux problèmes d'approvisionnement des grossistes et de hausse des tarifs du fret, est venue s'ajouter une particularité climatique avec la persistance de la Niña et ses épisodes de fortes pluies. « En plus des difficultés de ravitaillement, les produits frais locaux ont eux aussi augmenté. »
Là encore, les professionnels ont essayé, autant que possible, de ne pas répercuter l'intégralité des hausses sur les prix à la clientèle. « Face à cette situation, les restaurateurs s'adaptent : gestion des stocks, recherche de nouveaux produits et surtout de nouvelles ressources financières », liste Jean-Pierre Cuenet qui redoute désormais pour son secteur l'augmentation des taxes comme la TGC ou des tarifs de l'électricité. « "L'inflation de l'administration" » est également très pesante avec toujours plus de textes et de contrôles », regrette le chef d'entreprise, qui plaide pour une simplification du millefeuilles administratif.
L'imprévision en période d'inflation
En mars 2022, la Fédération calédonienne du BTP proposait un plan d'actions face à la crise des matériaux de construction. Parmi les mesures préconisées : l'extension du dispositif métropolitain de l'imprévision à la NouvelleCalédonie. Dans le cadre des marchés publics, cette clause prévoit la possibilité de renégocier les coûts pour les entreprises frappées par les hausses de prix. Un texte a été déposé en ce sens au Congrès. Examiné lors de la séance publique du 3 novembre, il a été renvoyé en commission.
À l'instar de la Métropole, le texte prévoit notamment de « permettre cette révision des prix lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution des conditions économiques pendant la durée d'exécution des prestations » ou encore « d'imposer une clause de révision des prix dans les marchés publics d'une durée d'exécution de plus de trois mois qui nécessitent pour leur réalisation, le recours à une part importante de matières premières dont le prix peut être directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux »
Trois questions à Yann Caron, directeur de l'IEOM
Les banques centrales ont mené une stratégie très favorable à l’économie ces dernières années, pourquoi ?
Les banques centrales ont été très réactives en déployant une politique monétaire extrêmement accommodante afin de répondre aux défis de la crise Covid. Cela les a conduites à mener deux actions principales : une forte injection de liquidités et un maintien des taux directeurs à des niveaux très bas. Ce dispositif visait à ce que la politique monétaire se transmette à l’économie réelle, par l’intermédiaire des prêts bancaires, afin de soutenir les entreprises et d’atténuer les impacts économiques de la crise sanitaire.
Qu’est-ce qui explique le revirement constaté au second semestre 2022 ?
Face au contexte général d'inflation au niveau mondial, inédit et relativement durable, les banques centrales se sont engagées dans une politique de normalisation monétaire en agissant à nouveau sur les deux principaux leviers, la remontée des taux directeurs et le resserrement de la liquidité.
Comment cela se traduit sur l’économie, n’est-ce pas un risque pour la croissance ?
Une inflation élevée et durable constitue une menace pour l’économie et compromet toute chance de croissance à moyen et long terme. L’objectif des banques centrales est de conduire une action forte et résolue afin de casser les anticipations inflationnistes qui pourraient instaurer une inflation structurelle. Autrement dit, il s’agit d’accepter de prendre le risque de sacrifier temporairement un peu de croissance pour revenir rapidement à un environnement économique favorable dans lequel l’inflation est contenue aux environs de 2 %.
Une liquidité moins abondante et des taux d’intérêt plus élevés conduisent les acteurs économiques à être plus vigilants dans leurs décisions d’investissement et de placement, notamment dans l’immobilier. L’augmentation des taux d’intérêt contribue aussi à l’appréciation du taux de change et réduit de fait l’inflation importée. En remontant les taux, les banquiers centraux revalorisent également l’épargne. Cette remontée des taux peut paraitre élevée, mais il faut également prendre en compte les taux d’intérêt réels, déduction faite de l’inflation actuelle, pour estimer l’impact sur l’économie.
Pénuries de matières premières : la double peine
Les difficultés d'approvisionnement ont pu avoir de lourdes conséquences pour les entreprises « dans l'impossibilité de facturer et dont certains clients mécontents ont appliqué des pénalités de retard, signale Silvio Pontoni. Afin d'éviter cette double peine, nous avons signé un accord avec les bailleurs sociaux (FSH et Sem Agglo), tandis qu'un ordre a été donné au niveau de l'État. Mais il n'a pas été toujours suivi. Ainsi, sur le chantier de la prison de Koné, des entreprises ont été sanction- nées », poursuit le président de la FCBTP.
Redonner du pouvoir d'achat face à l'inflation
Dans ce contexte inflationniste, améliorer le pouvoir d'achat des Calédoniens est un enjeu crucial. C'est l'un des objectifs de la réforme fiscale préconisée par le collectif d'acteurs économiques NC ÉCO avec un mécanisme qui ne mettrait pas en danger les entreprises.
« La consommation des ménages se maintient. Les professionnels s’inquiètent tou- tefois de l’érosion du pouvoir d’achat des consommateurs », annonçait l'IEOM dans sa dernière note de conjoncture économique**. L’indice des prix à la consommation (basé sur l’alimentation mais aussi les produits manufacturés et les services) était annoncé en novembre par l’Isee-NC en augmentation de 4,6 % sur les douze derniers mois, et les prix de l’alimentation en hausse de 8,7 % sur un an.
L’association de consommateurs UFC-Que Choisir a, elle, fait le constat en janvier que le coût du « panier calédonien » qu’elle établit sur les produits de consommation courante, a augmenté de 14,5 % sur un an. Face à cette situation, le projet porté par NC ÉCO repose sur un premier principe : diminuer significativement les charges salariales, ce qui fera augmenter le revenu net des salariés - sans que les entreprises déjà en situation délicate aient à financer seules cette augmentation du coût de la vie par les salaires.
Changer de paradigme
Cette mesure aurait un effet revigorant sur la consommation, jusqu’à 7 % selon le modèle de simulation économique adopté par l'économiste Olivier Sudrie qui a examiné la proposition de réforme. Lié à l’effet de relance, le gain pour les entreprises est évalué à 9 milliards de francs par la même étude. En filigrane, quelque 2 000 emplois pourraient être créés ou maintenus. « Il s'agit de changer de paradigme en réduisant les charges sur le travail, donc son coût, et de reporter les prélèvements obligatoires (hors retraite et chômage, ndlr) sur la consommation et la fiscalité », rappelle Cédric Faivre, délégué général du Mouvement des entreprises de Nouvelle-Calédonie (Medef-NC).
29 milliards CFP
C’est le revenu net supplémentaire dont bénéficieraient 75 % des ménages calédoniens issus principalement des classes modestes (25 % des ménages, + 3 milliards de revenu net) à moyennes (50 % des ménages, + 26 milliards de revenu net), si les principes de la réforme proposée par le collectif d’acteurs économiques NC ÉCO était appliqués.
Choc de consommation
Ainsi, une Contribution calédonienne de solidarité (CCS) progressive serait mise en place, faisant en sorte que chacun contribue aux charges de la collectivité en fonction de ses moyens, selon le principe et l’esprit d’universalité de l’impôt sur le revenu, avec un rendement amélioré du fait d’une assiette de contributeurs plus large (80 % de la population). « Un point de CCS représente 7 milliards de francs de prélèvements alors que le rendement de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) s'élève à 22 milliards au total ». souligne Cédric Faivre.
L'objectif de ce projet est véritablement de créer un choc de consommation, qui entraînerait du développement économique, et de réduire les inégalités.
Les projets en discussion
La conférence sociale sur les salaires, qui s'est tenue les 29 et 20 décembre 2022 à l'initiative du gouvernement, a réuni l'ensemble des partenaires sociaux. L'occasion de faire un constat partagé sur la situation économique, le travail et l'emploi avec des données incontestables et d'objectiver les propositions avancées par chacun. Les discussions autour des différents projets dont celui des acteurs économiques de NC ÉCO, qui recommande notamment de fiscaliser la protection sociale, se sont poursuivies au sein de Conseil du dialogue social avant un nouveau grand rendez-vous autour du mois de mars.
En savoir plus
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Consultez la rubrique dédiée à NC ÉCO
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Découvrez le dossier consacré au projet de réforme fiscale porté par le collectif d’acteurs économiques, dans le numéro de décembre-janvier du CCI Info n°293
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